REPENSER LA RéUSSITE : ET SI LE VRAI LUXE, C’éTAIT LE TEMPS ?

L’argent, ce tabou dans les métiers du soin
« Le temps, c’est de l’argent. »
Mais parler d’argent, surtout quand on exerce un métier-passion comme le soin, reste un tabou.
Pendant longtemps, j’ai cru qu’il était impossible de bien gagner ma vie en tant que praticienne en médecine traditionnelle chinoise. Au début de mon activité, mon mari m’avait dit :
« Si tu arrives à gagner assez pour payer le loyer et l’assurance maison, le pari sera réussi. »
Et à ce moment-là, ça me faisait briller les yeux. Atteindre cet objectif me semblait déjà merveilleux.
Mais il y a une chose que je laissais de côté dans ce raisonnement : mon éducation.
J’ai grandi avec l’idée que réussir sa vie, c’était pouvoir s’offrir des biens de valeur.
Je me souviens du jour où mon père s’est acheté un bateau. Du haut de mes 7 ou 8 ans, je voyais cela comme une preuve éclatante de réussite. Ce que je ne percevais pas, en revanche, c’était l’absence de mes parents, partis travailler tous les soirs, y compris les week-ends et les jours fériés.

Travailler pour vivre ou vivre pour travailler ?
Dans mon inconscient, réussir = s’acheter des objets (de préférence haut de gamme).
Alors oui, travailler pour payer le loyer m’a fait briller les yeux… mais pas très longtemps.
Très vite, j’ai ressenti l’envie de plus.
De nous offrir des vacances. De pouvoir respirer. D’avoir le droit, moi aussi, à des temps de ressourcement.
C’est légitime, non ? Quand on s’occupe des autres au quotidien, on a besoin de se recharger.
Mais la réalité, c’est que ce « plus » n’est pas toujours accessible. Et c’est là que la culpabilité s’installe.
« De quoi je me plains ? Je fais un métier que j’ai choisi, j’ai un rythme adapté à mon énergie, je peux m’occuper des enfants (quand je ne passe pas mon temps à gamberger sur comment faire progresser mon revenu !). Une enfant gâtée pourrie ! »
Merci à mon juge intérieur, toujours aussi bienveillant… et sarcastique.

Le déclic : laisser pousser d’autres graines
Et puis, ce lundi 12 mai 2025, un échange entre amies a semé quelques graines nouvelles dans mon esprit.
Des phrases toutes simples, mais puissantes :
- « Peut-être faut-il accepter de diminuer ton train de vie ? »
- « Si tu devais payer quelqu’un pour s’occuper de tes enfants pendant que tu travailles, quel serait le coût ? »
- « Que te rapporte ton travail en plus de l’argent ? »
L’esprit fatigué de toutes ces considérations depuis deux jours, je suis partie en promenade avec mon fils.
Plus envie de cogiter. Juste l’envie de profiter.
Et là, quelque chose a changé.
Je l’ai vu se baigner, lancer des cailloux pour faire des ricochets, son sourire éclatant à chaque tentative, réussie ou non.
L’eau scintillait comme si les étoiles avaient plongé dedans.
Et moi, pour la première fois depuis longtemps, je me suis sentie vraiment présente.
Vivante.

Une richesse que l’on ne peut pas compter
À cet instant, j’ai compris que j’avais une immense chance : celle d’avoir du temps.
Ce temps que je n’ai que très peu connu avec mes propres parents.
Ce temps qui me semblait accessible uniquement pendant les vacances… alors qu’il est déjà là, dans les petits moments du quotidien.
Alors oui, je gagne beaucoup moins bien ma vie qu’à l’époque où j’étais pharmacienne à temps plein.
Mais aujourd’hui, j’ai une richesse inestimable :
du temps pour moi, du temps pour ma famille, du temps pour vivre.
Et ça, vraiment, ça n’a pas de prix.
Je comprends mieux maintenant ce que nous enseignent les anciens sages taoïstes quand ils préconisent de « nourrir la vie » avec les idées suivantes (entre autres) :
- éviter de trop penser / réfléchir
- éviter de trop désirer
- éviter les pensées qui distraient (ce qui m'amène une réflexion au sujet des écrans...)
Merci.